Aztèques : Harem (extrait)

 

Chapitre 1 : Déchirure

— Je ne veux pas devenir prêtresse, Tete. Collier d’étoiles a parlé. Mon tonalli est d’être chef.
— Une femme chef ?

Cuauhtli le sage dépose son écuelle dans un bruit sec. Il saisit la coiffe de chef suspendue au mur. En traversant la lumière qui filtre à travers les troncs, les plumes rousses s’animent d’éclats dorés. D’un geste solennel, il dépose la parure sur son crâne et incline son visage buriné vers sa fille :

— Nos lois sont strictes, Ameyal. Seuls les hommes sont capables de commander.
— J’en suis capable aussi.
— Nous avons déjà eu cette conversation des dizaines de fois. En tant que fille de chef, tu seras mariée au Serpent Précieux, et tu prieras pour qu’il protège le village.
— La prière ne m’intéresse pas !
Cuauhtli s’éloigne en soupirant. Il décale le rideau qui ferme la hutte et tourne la tête vers Ameyal :
— Je pars au conseil. Mets ta robe, le prêtre t’attend.

La jeune fille regarde son père disparaitre derrière le rideau. L’étoffe bariolée se balance légèrement puis s’immobilise. Une longue robe blanche pend au plafond. Un serpent brodé, multicolore, déploie son corps ondulant sous le col arrondi. Sa gueule ouverte est ornée de plumes bleues. Ameyal baisse la tête en maugréant, dépose les écuelles dans un plat et foule la terre battue jusqu’à la fenêtre.
Elle plisse les paupières sous l’éclat du soleil. Une vingtaine de petites huttes rondes, faites de bois et de jonc, s’échelonnent autour de la grand-place. Des arbres verdoyants les baignent de leur ombre, et des plants de tomates, de piments, des avocatiers ponctuent la terre brune à leurs pieds. Au-delà des dernières habitations se dessine la ligne courbe de la jungle. Des oiseaux volent en piaillant au-dessus des cimes.
Au centre de la place, à l’ombre d’un ficus géant, sont assises les marchandes de Huaxca. Des grappes de fruits, de légumes, des coquillages nacrés, des plats emplis de poudres colorées ornent les tissus disposés à même la terre. Des parfums d’épices dérivent dans l’air chaud, vibrant du matin.
Une jeune fille plus âgée qu’Ameyal est assise par terre auprès de sa mère. En apercevant Ameyal, Nicté sourit, se lève et s’approche de la hutte :

— Tu viens avec nous ? demande-t-elle.
— Pas aujourd’hui, soupire Ameyal. Mon père veut que j’aille au temple.
Nicté fronce les sourcils :
— Encore ?
— J’ai peur que oui.
— On sera dans ma hutte si tu changes d’avis.

Nicté traverse la place, bientôt rejointe par un groupe de jeunes filles. Des éclats de rires retentissent. Ameyal regarde le groupe longer les huttes qui bordent la place et disparaitre derrière le grenier de joncs. Le regard à la dérive, elle laisse échapper un long soupir.
C’est alors qu’elle repère un jeune homme de l’autre côté de la place. Le corps élancé, Acatl est seulement vêtu d’un pagne de couleur beige. Un harpon à ses pieds, il prépare les filets avec les autres pêcheurs. Ses cheveux longs ondulent dans la brise. Soudain, il lève la tête et aperçoit Ameyal.
Il lui sourit.
Ameyal le fixe un instant, rougit, puis tourne la tête vers la robe suspendue. Le serpent semble la fixer avec malice. Le dieu attendra. Elle prend une profonde inspiration et quitte l’habitation.
Sitôt dehors, un petit chien blanc accueille Ameyal en jappant :

— Mixtli !

La jeune fille s’agenouille et caresse le dos de l’animal. Sa fourrure est douce sous sa main. En relevant la tête, elle constate que le jeune homme l’observe toujours. Elle traverse la place, se retourne, lui adresse un sourire et gagne la sortie du village.
Derrière les dernières habitations s’étend un champ de maïs doré. Au milieu des plantations émerge le temple circulaire du Serpent précieux. Adossé au mur les bras croisés, le grand prêtre scrute Huaxca.
Pas question qu’il l’aperçoive. Ameyal baisse la tête, se faufile sous les épis et court jusqu’à la jungle.
Une fois les premiers arbres atteints, elle prend une profonde inspiration, savourant les parfums épicés du sous-bois. Une branche craque alors derrière elle. Une main la bâillonne, tandis qu’une autre la ceinture. Ameyal pousse un cri qui ne produit qu’un son étouffé. Elle se débat, mais son agresseur la tient solidement plaquée contre son torse. Elle sent son souffle dans son oreille.

— Tu vois ? murmure-t-il. Je t’avais dit que je finirai par t’attraper.
— Acatl !

Ameyal tente de le repousser, mais il la retient fermement. Un sourire fier illumine le visage du jeune homme. Sans autre recours, elle capitule. Il la relâche. Elle se redresse vers lui, la main déjà levée, mais il la prend dans ses bras :

— Tu portes bien ton nom. Tu es belle comme le printemps.

Ses lèvres trouvent sa bouche. D’abord surprise, elle se laisse faire. Son torse est chaud, sa langue délicate.
Ils s’embrassent de plus en plus fort.
Le jeune homme prend Ameyal par la main et s’enfonce dans la forêt. Un bruit d’eau s’élève peu à peu.  Serpentant entre les arbres, la rivière Huaxca s’écoule en frémissant. Sautillant de pierre en pierre, tous deux la traversent au milieu d’éclats de rires et la suivent jusqu’à l’océan. Protégés par l’ombre des arbres, ils suivent la ligne nacrée, aveuglante de la plage. Au loin, les pêcheurs tirent les barques vers l’immensité turquoise. Des embruns pétillants dérivent jusqu’à eux. Les rouleaux blancs résonnent comme le tambour des prêtres.
Acatl s’arrête sur une surface douce, entourée d’arbustes. Il invite Ameyal à prendre place sur le sol couvert de mousse. La jeune fille se raidit mais s’exécute. Au loin, un appel retentit. Tous deux tournent le visage vers le village. Ils dressent l’oreille, mais le bruit a cessé. Ils s’observent. Acatl sonde les yeux bleus d’Ameyal. Avec douceur, il pose sa main derrière le dos de la jeune fille et l’aide à s’allonger.
Se redressant légèrement, Ameyal trouve sa bouche à son tour. Lorsqu’elle cesse de l’embrasser, il sourit :
— Tu es sûre ?
Elle acquiesce, affichant une détermination qu’elle est loin de ressentir. Son cœur bat à tout rompre. Acatl garde son sourire, et sa main s’aventure sur sa cuisse. Elle remonte lentement, dégageant le tissu qui protège sa peau. La jeune fille respire de plus en plus fort. Le jeune homme écarte doucement ses cuisses, sans cesser de les caresser. À chaque effleurement, elle tressaille.
Après l’avoir à nouveau embrassé, il détache son corset. La jeune poitrine est ferme lorsque sa main plonge dessus. Ayala se tend sous ses baisers. Elle ne devrait pas faire cela, elle le sait. Mais son père ne pourra plus la forcer à devenir prêtresse. Et après tout, elle en a envie. Les doigts du jeune homme courent sur sa peau, déclenchant une myriade de doux picotements. Malgré sa peur, elle en veut plus.
La jeune fille est nue sur le sol à présent. Lui aussi. Des papillons bleus volètent dans l’air troublé. Acatl se glisse entre ses cuisses, arc-bouté sur ses bras musclés. Il se tient juste au-dessus d’elle. Il plonge ses yeux dans les siens, dans une nouvelle interrogation silencieuse. Elle se tend pour l’embrasser à nouveau. Il choisit cet instant précis pour la pénétrer. Elle se cambre sous la douleur. Il s’immobilise, attentif à ne pas lui faire trop mal.
Puis, tout en embrassant son cou, il commence à remuer. La souffrance disparait aussi vite qu’elle est venue. Ameyal mêle son souffle à celui de son amant, emportée par ces sensations nouvelles. Son corps semble ne plus lui appartenir. Acatl accélère ses mouvements, l’emportant avec lui. Elle se livre entièrement. Le plaisir monte comme une vague immense, puissante, imprévue. Elle ne peut retenir un cri lorsqu’il déferle en elle.
Le jeune homme se raidit soudain. Ameyal rouvre les yeux en cherchant son souffle. Elle se fige. Une main empoigne les cheveux d’Acatl. Elle n’aperçoit la lame d’obsidienne qu’un instant, avant qu’elle n’ouvre la gorge du jeune homme.
Un jet de sang chaud inonde sa bouche, ses yeux, son visage entier.
Acatl pousse un hurlement d’agonie. Ameyal se sent étouffer. Secouée de tremblements, elle se débat, rue pour se dégager du corps paniqué qui l’écrase. Toussant, crachant, elle bascule sur le côté et rampe sans savoir où aller, la bouche ouverte à la recherche d’air. La forêt s’est assombrie. Elle semble tournoyer autour d’elle. Ameyal ne sent plus que l’odeur poisseuse du sang qui emplit ses narines, n’entend plus que les gargouillements de son amant en train de succomber. Elle traine son corps sur le sol pour s’éloigner, arrachant la mousse à pleine poignées.
Derrière elle retentit un rire. Haletante, elle tourne la tête. Un guerrier se tient debout, campé à quelques pas. Un pagne sale et déchiré pend le long de ses jambes maigres. La lame noire qu’il tient en main dégouline de sang. Les yeux exorbités, il scrute le jeune corps nu et passe sa langue sur ses lèvres :
— À mon tour, maintenant.
Avant même qu’elle ait le temps de réagir, l’homme agrippe Ameyal par la jambe. Il la retourne et la tire vers lui. Ses yeux sont comme deux puits sans fond. Il écarte ses cuisses d’un coup sec, puis les bloque avec ses genoux. Sa bouche grimaçante émet un grognement. Ameyal hurle en envoyant le genou en avant.
Le coup arrache à l’homme un cri étouffé. Il tombe sur le côté en portant ses mains à son bas-ventre.
La jeune fille se relève en clopinant. Le corps tremblant, les yeux noyés de larmes, elle plonge entre les arbres et s’enfuit vers l’océan.
Parvenue sur le sable, elle s’arrête, mains sur la bouche. Des corps mutilés gisent parmi les barques échouées. Des flaques rouge sombre jurent sur le blanc aveuglant. Un mouvement lui fait tourner la tête. Le guerrier court derrière elle en lançant des jurons. Il n’est plus qu’à une cinquantaine de pas. Ameyal foule la plage en direction du village. Ses pieds  s’enfoncent dans le sable brûlant.
Elle bifurque vers la jungle juste avant que le guerrier ne la rattrape. La moiteur du sous-bois la recouvre à nouveau.
Ameyal s’élance entre les branches et les lianes qui fouettent sa peau. Elle contourne un immense tronc, se faufile sous des racines géantes, bifurque, accélère, traverse des amas de fougères arborescentes, trébuche, se relève, reprend sa course.
Nichés derrière un arbre, de sombres volatiles s’envolent en hurlant. Ameyal risque un oeil en arrière. L’homme est toujours sur ses talons. Elle tente de maintenir le rythme, mais ses jambes fatiguent. Les battements de son coeur l’assourdissent. Sa gorge brûle à chaque inspiration.
Il sera bientôt sur elle.
Elle plonge sous un massif d’arbustes et se faufile entre les tiges nues, disparaissant aux yeux du guerrier. L’homme se baisse pour la repérer. Il pousse un grognement et fond dans sa direction, déchiquetant feuilles et plantes le séparant d’elle.
La verdure laisse soudain place à une surface boueuse, percée de joncs, encerclée de troncs grisâtres. Une odeur rance imprègne les lieux. Le regard d’Ameyal s’éclaire. Elle prend son élan et saute le plus loin possible. En atterrissant, la boue pénètre sa bouche et envahit ses yeux. Aveugle, à bout de souffle, elle s’allonge et rampe de toutes les forces qui lui restent pour continuer d’avancer.
Elle sent soudain une main empoigner sa cheville.
Elle plante ses doigts dans la terre, tire sur sa jambe de toutes ses forces. L’emprise se resserre. Elle donne un coup de pied en arrière. Son talon frappe le nez du guerrier, qui lâche prise. Enfin parvenue aux pieds des arbres, elle se relève en chancelant. Sa poitrine oscille, animée de mouvements convulsifs, incontrôlables.
Enfoncé dans la boue jusqu’aux cuisses, l’homme hurle et lance son poignard en avant.
Ameyal reste sans réaction. L’arme érafle son corps. Un bruit de choc retentit. La lame s’est plantée dans un tronc. Une brûlure irradie de son épaule.
Le guerrier force pour avancer, mais la boue le retient avec des bruits de succion. Il est bientôt enlisé jusqu’au pagne. Son visage blêmit. Il lutte pour se dégager, mais ne fait que s’enfoncer davantage. Un cri rauque s’échappe de sa bouche lorsque la boue atteint son ventre. Le lointain ricanement d’un singe araignée retentit. À présent, les os de ses colliers flottent sur la surface boueuse.
Ameyal tente d’essuyer le mélange de sueur, de sang et de terre qui recouvre son visage.
Mais elle ne fait que l’étaler.
L’homme s’enfonce toujours plus dans les sables mouvants.
Son faciès irradie la terreur.
Tremblante, hébétée, elle le regarde sombrer jusqu’à ce qu’il n’en reste rien.

 


 

Cet extrait provient d’une série d’aventures intitulée Aztèques.

Découvrez-la en cliquant ci-dessous :

Mexique, 1515.
Ameyal a treize ans. Elle est fille de chef. Lorsque des guerriers  envahissent son village natal, elle jure de tout faire pour les arrêter.

Ses aventures l’emporteront au cœur du monde Aztèque, dans un univers cruel et inconnu : le harem d’un mystérieux Maître.
Va-t-elle surmonter les épreuves qui la menacent et déjouer les intrigues des concubines ?

 Parviendra-t-elle à progresser sur le chemin de son ambition et de sa vengeance ?

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