Extrait de la v1 du 3-04 :
Marion s’éveilla en s’étirant. Ses yeux bleu azur, auréolés de cernes, s’ouvrirent sur le désordre environnant : bouteilles de vin vides, tâches grasses sur le sol, chaises renversées. Un courant d’air frais et pur s’insinuait à travers la fenêtre entr’ouverte, refoulant péniblement les odeurs d’alcool évanescentes.
Dos à elle dans l’étroit lit simple, un garçon ronflait par intermittence. La jeune fille souleva les draps et aperçut une auréole brune à hauteur de son bassin. Elle observa David un instant et sourit en enfouissant son visage sous les draps.
Puis elle saisit la bouteille d’eau posée au pied de son lit et but à grands traits, avant de se laisser retomber en arrière dans un soupir, tandis que David bredouillait quelque chose dans son sommeil.
Une démangeaison lui parcourut l’avant-bras, révélant une image comme un flash : une chenille bleue tachetée de points jaunes qui grimpait sur sa peau nue, en direction de son coude. Elle frissonna en tentant de rassembler les dernières bribes de ce rêve qui partaient en s’effilochant. Tout en fermant les yeux, elle se remémora le contact chaud et visqueux qu’elle avait ressenti. Elle se revit saisir la larve, matière molle et poisseuse, et la jeter au loin. Grimaçant de dégout, elle secoua sa main et la frotta contre la couette.
Sur sa table de chevet, un réveil-matin surmonté d’un ours en peluche brun au sourire facétieux indiquait quinze heures. Au pied du lit trainaient un journal intime relié de cuir, ainsi qu’un tube de mascara. Marion saisit doucement le livre en regardant David. Elle fit défiler les pages annotées et illustrées, survolant rapidement les dates jusqu’à une feuille vierge. Elle nota tous ses souvenirs de la nuit précédente, de la soirée au réveil, en incluant le rêve de la chenille, de son apparence à sa taille en passant par le contact visqueux de sa peau et les impressions qui en avaient découlé.
Une fois toutes ses confessions couchées sur papier, Marion posa un pied à terre, puis l’autre, et se leva en vacillant légèrement. Ses pas la portèrent au milieu des bouteilles, sur le sol collant, jusqu’à la salle de bain. Sous la douche chaude, elle poussa un long soupir : les excès de la veille semblaient suinter par tous les pores de sa peau.
Après sa toilette, elle se sécha les cheveux en observant les courbes de son corps dans la buée du miroir. Elle saisit un tube de lait hydratant et se massa le visage d’une main délicate. Puis elle déposa une seconde crème sur son épaule nue, la faisant pénétrer jusqu’à sa poitrine naissante.
Alors qu’elle s’habillait dans sa chambre, son regard fut attiré par un reflet bleu sur le sol. Il s’agissait d’une courte traînée azurée, quasi transparente, telle un léger coup de pinceau.
En s’agenouillant pour l’essuyer, Marion fit basculer une bouteille vide qui tomba en résonnant.
– Qu’est ce que tu fais ?! Se plaignit David d’une voix endormie. Tu peux pas attendre que je sois réveillé pour nettoyer ?!!…
Tandis qu’il enfouissait sa tête sous l’oreiller, Marion bredouilla des excuses tout en effaçant la tache. Lorsqu’elle aperçut d’autres coulées gluantes entre le sol et la fenêtre entr’ouverte, elle les retira en prenant soin de ne pas faire de bruit.
Une fois les trainées disparues, Marion écarta les vitres et prit une grande bouffée d’air pur, plissant les yeux devant l’éclat du soleil déjà haut. Devant elle s’étendait une forêt de conifères, auréolant le jardin. De loin en loin, un toit de chaume ou une cheminée de pierres émergeait des sapins gris. Au-delà du velours ondoyant des cimes se dessinaient des champs vallonnés aux nuances brunes et orangées, dont les sillons traçaient des figures mathématiques aux traits parallèles. Parmi eux s’élevaient des bosquets de chênes noueux, et des corps de ferme bleuis par la distance.
Marion poussa soudain un cri de surprise. David se plaignit une nouvelle fois du bruit, mais elle ne daigna pas lui répondre. Une chenille lapis-lazuli, à la robe constellée de points d’un jaune vif, progressait en rampant sur le rebord de la fenêtre. Avec une grâce de fée, la larve étincelante soulevait les anneaux de son abdomen les uns après les autres pour avancer. La partie supérieure de son corps était d’un bleu presque fluorescent, tandis que l’arrière, après un dégradé arc-en-ciel, virait au rouge brique.
Marion écarquilla les yeux en contemplant ses mouvements harmonieux. Puis elle tourna la tête en direction de son journal, qui émergeait du désordre au pied de son lit. Elle fronça les sourcils en approchant la main de la larve, hésitant à la faire basculer dans le vide. Mais lorsqu’elle se pencha au-dessus du rebord, elle prit conscience de la hauteur de sa chambre, se ravisa et referma les vitres.