Un immense merci à Dominique Lebel pour sa chronique de La Croisée des Mondes, que voici :
« Le gong de midi retentit à l’instant où Ameyal pénètre dans la salle à manger ornée de mets variés : légumes épicés, viandes et poissons, tamales encore fumantes, pains allongés, corbeilles de fruits, le tout entouré de fleurs resplendissantes. Réunies par petites troupes, les concubines déjeunent debout, en discutant, une assiette ou un gobelet à la main. Leurs robes chatoient à chacun de leurs mouvements, tel un essaim de pétales disparates remués par un vent capricieux.
Il y a des écureuils dans les arbres, un autel voué à une déesse, des jarres remplies d’eau et des fruits et des légumes comme dans une épicerie bio. Il y a des colibris dans le ciel, réincarnations d’anciens guerriers, des cages d’oiseaux aux plumes miroitantes et un océan d‘hibiscus. Sinon, de jolies femmes passent dans les allées parfumées, vêtues de robes longues et parfois, derrière les murs épais, elles vous font une scène d’amour entre elles… mais vous n’êtes pas au Paradis, vous êtes dans le Harem d’Ahuizolt, l’homme balafré à la langue agile mais aux désirs de brute épaisse.
Le Harem est un univers très codifié, aussi codifié que le livre que vous êtes en train de lire : au dernier étage vivent la favorite et les épouses du Maître, en dessous se trouvent les concubines. Le Maître vient y piocher de quoi se distraire. Au Rez-de-chaussée et dans les jardins errent les esclaves, tandis que les âmes rebelles croupissent dans les catacombes.
Il y a de quoi s’y reconnaître et dans ce roman aussi, vous vous y retrouverez : on vous laissera le temps de visualiser le décor (magnifique), de connaître les personnages, de comprendre ce qui se passe (il se passe beaucoup de choses) car c’est une narration à la fois tranquille et experte qui vous conduit là. Quelque chose de mouvementé mais de très organisé, de très maîtrisé, avec quelques grands moments comme des sommets dans un paysage de plaine : la scène d’amour entre Ameyal et Macoa, la scène d’amour entre la même Ameyal et Ahuizolt, le rêve d’Ameyal.
En même temps, vous retrouverez au détour du récit quelques figures mythiques qui traînent dans votre tête : le maître avec sa cicatrice a toujours quelque chose du Jeofray de Peyrac d’Angélique Marquise des anges, et quand il surprend Ameyal dans une clairière c’est Sissi qui rencontre son François Joseph… que l’auteur me pardonne, les mythologies de fille ont la vie dure.
Vous aviez quitté Ameyal à l’école du Harem, la voilà concubine, plongée dans cet univers fait d’alliances et d’allégeances, un monde qui se trouve pris entre deux images –une cour de prison et un épisode de Koh Lanta. Ameyal-regard de jade a désormais sa propre chambre et elle s’attire les faveurs du Maître, car elle est exceptionnelle. Deux inconnues l’ont menacée, elle doit se refuser à lui mais comment se soustraire aux désirs d’un auteur ? Elle se laissera faire… jusqu’à un certain point. Commence alors son aventure. Poussée par sa détermination à se venger, elle fera tout pour s’échapper du Harem mais y reviendra et vous la verrez se transformer en passionaria, devenir une véritable héroïne, tandis que les autres femmes, elles, resteront figées dans leur rôle –la méchante Xalaquia, l’infidèle Izelka etc.
Un personnage avec une quête et une progression, des adversaires, des scènes, des rebondissements et ce qu’il faut de descriptions : je ne suis pas fan des romans bien faits, personnellement, mais il y a dans les livres d’Eric Costa un petit quelque chose qui échappe aux règles et ne s’apprend pas dans les ateliers d’écriture. C’est… ah oui, le charme. Ces romans ont du charme.
Des couleurs, des parfums et des bruits qui vous restent dans la tête. Ces romans ont une petite musique très personnelle et je crois bien que c’est là un effet de l’écriture, très délicate et extrêmement précise.
Mais j’arrête là les compliments, Eric Costa est déjà très grand et il ne faudrait pas qu’en plus il ait la grosse tête. »
Et vous, irez-vous découvrir le harem d’Ahuizotl ?